Bribes d’enfance

“Et ainsi, durant notre sommeil, nos souvenirs deviennent durables en s'inscrivant en nous sous forme d'une mosaïque mouvante, faite de traces éparses qui s'éloignent peu à peu les unes des autres.“
Les battements du temps, Jean-Claude Ameisen

Nous avons partagé un moment particulier avec Rosine et Yvonne, toutes deux grands mère d’Alicia, et avoisinant les 90 ans. Pour ce faire, nous nous sommes rendus chez elles et avons alterné des temps d’entretien et de photos, tissant au fur et à mesure de la séance un lien de proximité, de confiance et de confidence.
Nous leur avons demandé de se remémorer leurs souvenirs d’enfance.
Nous avons découvert la vivacité encore prégnante de certaines blessures mais, par dessus tout, nous avons ressenti le plaisir qu’elles éprouvaient à être écoutées, à se raconter dans ce qu’elles retenaient comme éléments fondateurs de leur personnalité. Bien plus que l’exactitude de la biographie, ce qui nous intéressait davantage était le récit qu’elles en faisaient, de ce qui demeurait, de ce qui était oublié.
Elles ont fait confiance au regard d’Adrien et ont posé sans crainte aucune. Elles se sont aimées sur certains clichés qu’elles ont souhaité conserver. Il y aurait pu n’y avoir aucune production, les moments passés ensemble se suffisant à eux-mêmes. Mais, en tant qu’adeptes de démarches achevées, il était inenvisageable de laisser ce moment sans aboutissement. C'est aussi une occasion pour leur donner la parole et pour leur rendre hommage aussi.





Yvonne


“Je me rappelle des lieux”

Lorsqu’il s’agit d’évoquer son enfance, ce sont les lieux qui lui reviennent en premier. Et, plus particulièrement la ville de “Bourg La Reine”.
Elle est ainsi capable de décrire avec précision le trajet qu’elle empruntait pour se rendre quotidiennement à l’école, nommant l’enfilade des commerces devant lesquels il fallait passer : d’abord l’épicerie, puis la boulangerie, la charcuterie, la graineterie...
Parmi les lieux marquants de son enfance, elle cite le Parc de Sceaux se remémorant les parties de cache-cache dans les bosquets avec ses camarades.

Elle n’a pas de souvenir de musique ou de chanson qui aurait bercé son enfance, elle dit d’ailleurs plutôt qu’elle en a conservé le “goût du silence”.

Yvonne est le prénom de la sage-femme qui l’a mise au monde.
Ses parents n’ont pas eu d’autres enfants. A l’âge adulte, elle a compris que cela n’avait pas été un choix. Elle l’a souvent regretté, et, pour combler ce manque, elle a souvent recherché la compagnie d’autres enfants.
De ses parents, elle conserve un joli souvenir : l’absence de disputes, un papa “sévère mais très aimant”, une maman “pas très souriante mais gentille comme tout”.
Elle les décrit comme peu démonstratifs, ce qu’elle attribue à la culture de l’époque: “A l’époque, on ne parlait pas beaucoup, on ne parlait pas beaucoup aux enfants, on ne se parlait pas beaucoup, on parlait pour les choses nécessaires, mais pas pour les sentiments”.

Sa mère étant limitée dans ses déplacements par une jambe raide, le père et la fille partageaient à deux la plupart des sorties.
Une grande complicité l’unissait à son père: “Dieu sait si Papa m’aimait bien”. Il lui offrait souvent des petits cadeaux et avait de nombreuses petites attentions à son égard.
Elle évoque les dimanches où souvent il lui réclamait, non sans gourmandise, un de ses fameux gâteaux.
Autre facette de son père, celle du papa protecteur et de ses mises en garde: “Va pas traîner avec un garçon je te préviens, sinon tu auras à faire à moi”.

Son jouet préféré était un baigneur avec lequel ses filles ont également joué par la suite.
Le jeudi était alors un jour de repos. Elle allait au “patro” où elle y faisait des parties de ballons et du théâtre.
Elle se souvient être allée pour la première fois à la mer à 5 ans à Berck plage, moments immortalisés sur une pellicule, consciencieusement rangés dans un album photo.

Mme Miavril est un personnage qui a marqué son enfance. Elle était à la fois son institutrice et la directrice de l’école. Cette personnalité, un peu spéciale et maniaque l’impressionnait un peu. Yvonne, en tant que bonne élève, obtient la “croix d’honneur” et jouit du privilège de pouvoir remplir les encriers de l’école, le samedi après-midi.

Sa copine d’enfance se prénommait Annie, elles sont restées amies jusqu’à plus de 20 ans puis, les liens se sont distendus.

L’arrivée du lave linge est l’invention qui l’a le plus marquée. Avant l'arrivée de ce qu’elle nomme comme une “délivrance”, le bailleur n’autorisait l’usage de la buanderie commune par chacune des familles qu’une fois tous les 15 jours...


Description de la petite fille
“J’étais physiquement maigrichonne, châtain clair, les cheveux assez souples, et un caractère le contraire des cheveux”




Extrait audio






Rosine


“J’ai l’impression de ne pas avoir de souvenirs avant l’âge de cinq ans”

Cinq ans est l’âge auquel Rosine a perdu son père. Il s’appelait Jaubert et était gardien de la paix. Elle ne se souvient pas de lui. C’est à la suite de sa mort, qu’elle a été placée en famille d’accueil puis qu’elle est entrée à l’orphelinat de la Police avec sa soeur Claudie et son frère Marcel.

L’orphelinat se trouvait à Bourges. Les garçons et les filles y étaient séparés. Une fois, elle était montée sur un banc pour regarder les garçons. La surveillante lui avait couru après et lui avait donné une fessée si forte qu’elle avait laissé une trace. Le soir, prise de remords, celle-ci était venue la consoler.

C’est dans cet orphelinat qu’elle se trouvait pendant la guerre. Il n’était jamais bombardé en raison de la présence d’un château d’eau.

Des allemands y logeaient à proximité. Un jour, l’un d’entre eux avait par inadvertance lancé un ballon qui lui avait atterri au visage. Le lendemain, il lui avait offert une tablette de chocolat pour s’excuser.

Elle se souvient que tous les jeudis, elle écrivait à sa mère. Elle travaillait au service des étrangers à la Préfecture. Elle la décrit comme “peu expressive” : “Je ne crois pas savoir ce qu’est une véritable relation mère-fille”.

Puis, elle est rentrée au lycée professionnel et a appris la sténo qu’elle encore capable d’utiliser aujourd’hui.

Un peu plus tard, elle est retournée chez sa mère à Paris, Porte de Vanves, en compagnie de son frère et de sa soeur. L'exiguïté de l’appartement la contraignait à dormir dans le salon et à ranger son matelas chaque jour dans la chambre de sa mère.


Description de la petite fille
“J’étais une petite fille rebelle, je me faisais souvent punir car je répondais. Les autres petites filles étaient sages.”



Materiel

Hasselblad 503cx
Kodak Portra 800

Prise de vue

Avril et octobre 2016
Bondy et Antony

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